Les imprudents
Les imprudents
Les imprudents
D’après les dits et écrits de Marguerite Duras
Création le 18 juin 2021 au Printemps des Comédiens
Conception et mise en scène | Isabelle Lafon
Ecriture et jeu | Pierre-Félix Gravière, Johanna Korthals Altes, Isabelle Lafon et Margo
Lumière | Laurent Schneegans
Assistante à la mise en scène | Jézabel d’Alexis
Production Compagnie Les Merveilleuses
Coproduction Le Printemps des Comédiens, Montpellier ; La Colline – Théâtre national ; Théâtre Dijon-Bourgogne – CDN
La compagnie Les Merveilleuses est conventionnée par la DRAC Ile-de-France.
« Est-ce que je ne suis pas scandaleuse ? »
Isabelle Lafon poursuit son étude des figures féminines de la littérature du xxe siècle. Après Anna Akhmatova, Virginia Woolf et Monique Wittig, trois insoumises, elle s’intéresse à Marguerite Duras, femme de lettres et « inlassable questionneuse ». Dans le partage d’un même « désir de tout », d’une liberté qui les pousse à oser sans se laisser ni attraper ni enfermer dans une forme, Isabelle Lafon crée une pièce pour trois interprètes née d’improvisations travaillées à partir d’archives et d’entretiens menés dans les années 1960. Elle invente le vrai et fait revivre les personnages de Lolo Pigalle, strip-teaseuse, Daphné, lycéenne, Liliane Kupcak serveuse à la cafétéria de la mine ou d’André Fontaine, mineur, autant d’anonymes à qui Marguerite Duras a lu des textes d’Henri Michaux et d’Aimé Césaire. Un « spectacle comme au grand jour » où rien n’est caché, tout est à vue : une table, des piles de textes dits et même la chienne Margo. Qui sait si Marguerite Duras elle-même ne débarquera pas au milieu de la représentation ?
« Est-ce que je ne suis pas scandaleuse ?
D’oser tout le temps, de me casser la gueule, d’oser encore ? Oui mais oser, ce que c’est, oser.
Moi j’ai l’impression que j’écris dehors, j’écris ouvertement, j’écris… de façon indécente. Et que le scandale est là. Je ne sais pas comment j’en arrive à croire ça. Je ne sais pas, c’est la sorte de littérature que j’écris qui fait ça. Vous ne croyez pas ?
Que j’écris publiquement, presque. Que ce qu’on cache, je le fais comme au grand jour. »
-Marguerite Duras
Franchement on pourrait arrêter là
avec en pensée la voix de Marguerite Duras le disant. Toujours les questions qu’elle se pose, les questions qu’elle pose. Immédiatement une phrase clignote, lance un signal : « Comme au grand jour». Un spectacle « comme au grand jour » où d’une certaine façon on ne cache rien.Comme au grand jour
C’est d’abord dire tous les textes qui se trouvent sur la grande table, celle qui nous sert de décor, au milieu du plateau, tous ces textes qui sont là, avec nous, depuis le début des répétitions. Dire de quoi on part, ou plutôt d’où l’on part ?
Sur la grande table il y a :
des textes retranscrits à partir d’archives datant des années 60. Archives télévisuelles, archives d’interviews avec Marguerite Duras non pas questionnée mais questionneuse. La productrice de l’émission de télévision Dim Dam Dom demande à Marguerite Duras de faire des reportages. Elle va entre autre interviewer une directrice de prison, une stripteaseuse, des enfants, un dompteur de fauve entre autre. Il y aura aussi la retranscription d’une émission de France Culture de 1967, on y suit la rencontre dans une bibliothèque entre Marguerite Duras et des mineurs et femmes de mineurs. Cela se passe à Harnes dans le Pas de Calais, elle y lit des textes d’Henri Michaux, Francis Ponge, Aimé Césaire. Aura lieu une magnifique discussion entre « elle » et « eux ».
Un peu à part, des textes autour du « groupe de la rue Saint-Benoît. » Ils se réunissaient au domicile de Marguerite Duras depuis la guerre, Robert Antelme, Dionys Mascolo, Edgar Morin, Claude Roy, Maurice Nadeau et bien d’autres.
Nous partons donc de ces années là et de cette Duras là, une Duras qu’on connaît moins, celle qui inlassablement pose les questions. Dans le cadre elle est de dos, et bien sûr la fumée de sa cigarette.
Théâtre d’archives alors ?
Non sûrement pas ! Il s’agit avec les comédiens de travailler à partir des archives, d’improviser. Inventer le vrai. Imaginer ce qu’ont retenu ces personnes de leur rencontre avec Marguerite Duras. Faire revivre ces anonymes, tous ces personnages, André Fontaine, mineur ; Liliane Kupscak employée à la cafétéria de la mine ; Lolo Pigalle, stripteaseuse ; Pierre Dumayet, journaliste ; Suzanne Langlet, bibliothécaire à Harnes ; Daphné Langlet, lycéenne, Dionys Mascolo, Claude Roy etc. Ceux qui ont vraiment existé et ceux que nous avons inventé…
C’est vertigineux
de penser représenter Marguerite Duras par le biais des personnes qui furent interviewées par elle. Elle qui d’une certaine façon envahit tout avec sa liberté brutale parfois. Elle dont la pensée, l’œuvre ne tiennent pas en place, et ne s’installent jamais, On y entend murmure, fulgurance, discussion, solitude, transparence et rire.
Il faut être happée par Duras, ravie par elle mais surtout ne pas vouloir tout en dire.
Coïncidence
J‘ai découvert des mois après avoir décidé de travailler sur ces années 60, une dédicace de Marguerite Duras à l’intention de Pierre Dumayet qui l’avait interviewé sur son livre « Le ravissement de Lol V. Stein » en 1964. Elle est âgée et elle dit qu’elle aimerait revoir cet interview d’il y a vingt cinq ans ainsi que les émissions qu’elle a faites, ce qu’elle nomme « la première partie de son travail ». Nous ne savions pas que d’une certaine façon nous répondions à ce souhait.
Nous sommes trois,
Johanna, Pierre Félix et moi-même, le trio où toujours un regarde les deux autres. Je pense à Lol V. Stein qui regarde son fiancé s’éprendre d’une autre, au bal de leurs fiançailles.
Nous nous sommes dits
que nous serions toujours comme en plein jour, à vue et que le spectacle devrait s’approcher d’une très belle répétition. Qu’il fallait accepter qu’il ne soit jamais fini.
Le scandale, ça serait le scandale, discret, intime, de chacun d’entre nous et peut-être d’une position de mise en scène. Une explosion discrète…
Nous nous sommes dits en riant qu’à force de parler des personnes qui ont été interviewées par Marguerite Duras, elle finirait par arriver, par apparaitre, par nous parler de cette chose devant laquelle elle se trouve : l’écriture « sèche nue », cette chose qui rend « sauvage », qui terrifie et sauve, qui doit se refaire à chaque livre, comme ignorée du précédent, cette chose « qui se fait en vous, en dehors de vous, en deçà de toute volonté de faire ».
Et puis Margo aussi écouterait,
C’est ma chienne. Elle a dix mois, elle est impétueuse et douce, a envie de tout.